Les 50 ans du Théâtre de la Commune à Aubervilliers : la ministre de la culture n'a pas jugé utile de faire le déplacement

Beaucoup de monde, samedi soir, à Aubervilliers, pour célébrer la création du premier centre dramatique en banlieue. De nombreux acteurs du monde du théâtre étaient présents à cette soirée où une lecture des poèmes de Gabriel Garran (avec l’écharpe) a été offerte au public. Mais pas la ministre de la Culture.

C’était il y a cinquante ans. Autant dire hier. Une poignée de jeunes gens, férus de liberté, de poésie, de théâtre, le Groupe Firmin Gémier (du nom d’un des penseurs pionniers de la décentralisation), arpentent les rues d’Aubervilliers, au pied des immeubles, à l’entrée des usines, dans les réunions publiques. De 1961 à 1964, au gymnase Guy-Môquet, ils font festival, comme on pourrait dire qu’ils font amitié avec la ville et ses habitants. L’institution ne dit mot, suit de loin cette expérience singulière. En 1965, sous la houlette du metteur en scène Gabriel Garran, ils franchissent une étape en créant le tout premier théâtre permanent en banlieue ouvrière parisienne : le Théâtre de la Commune.

Un événement qui va bouleverser le paysage théâtral. Dans la zone où fleurissent encore des bidonvilles, la banlieue rouge accueille à bras ouverts des hommes et des femmes de culture qui n’ont pas peur de se frotter au réel, d’aller au-devant d’un public qu’ils ne connaissent pas, convaincus que la rencontre, aussi infime soit-elle, participe d’une utopie théâtrale et politique. Gabriel Garran avait été embauché comme ouvrier paveur et Noël Napo, autre cheville ouvrière de cette aventure, disparu il y a dix ans, comme ouvrier cantonnier. « En ce temps-là, il n’y avait pas dans la nomenclature du personnel communal de profession artistique », se souvient avec amusement Jack Ralite dans son discours samedi soir.

Ces années-là, d’autres expériences se déroulent, similaires. Toujours en banlieue. Toujours rouge. Bernard Sobel s’installe à Gennevilliers. Pierre Debauche, à Nanterre, baptise sa compagnie Théâtre des Amandiers et joue sous chapiteau. À Bobigny, la municipalité – communiste, comme les autres – accompagne le projet d’une MJC. En 1972, ce sera au tour du TQI, Théâtre des Quartiers d’Ivry, sous l’impulsion d’Antoine Vitez…

Une des plus belles aventures d’éducation populaire

En 1971, le Théâtre de la Commune devient centre dramatique national. Une reconnaissance de l’institution, impulsée par des relais politiques d’importance dès ses débuts : Jack Ralite à Aubervilliers ou Jeanne Laurent au ministère. Mais aussi le soutien indéfectible de Vilar, Aragon, plus tard Planchon, Gatti, Boulez… Après Gabriel Garran, succéderont à la tête du théâtre Alfredo Arias, Brigitte Jacques, Didier Bezace, et aujourd’hui Marie-José Malis.

Cinquante ans plus tard, que reste-t-il de ce qui fut une des plus belles aventures d’éducation populaire au sens vilarien du terme ? Beaucoup de ces théâtres ont acquis, depuis, le statut de CDN. Ils demeurent aujourd’hui encore des hauts lieux de la création théâtrale et d’expérimentations singulières. Des Amandiers de Nanterre au Nouveau Théâtre de Montreuil, du TQI au TGP de Saint-Denis, ils poursuivent leur mission de service public. La tête haute. Dans la mesure des moyens qui leur sont alloués. Dans la mesure où planent à leur encontre de sourdes menaces, qu’elles soient budgétaires ou politiques.

En 2007, Sarkozy, moins de trois mois après son accession au poste de la présidence de la République, écrit à Christine Albanel, ministre de la Culture d’alors, une missive dans laquelle il lui enjoint de donner un nouveau cap à la politique culturelle. Pour le président, il s’agit désormais de « donner en matière d’art à la population ce qu’elle demande ». De « donner aux subventions un caractère aléatoire, (…) aux directeurs d’équipements culturels des obligations de résultat ». Les théâtres s’appellent désormais établissements culturels. Les directeurs de théâtre accèdent au rang de super-managers et doivent veiller au grain d’une programmation « non élitiste » et, surtout, rentabiliser les lieux. Le spectateur se métamorphoserait alors en consommateur. La culture, une marchandise comme le reste. Demandez le programme…

Le désengagement de l’État provoque de gros dégâts

En 2012, changement de président. Changement d’orientation ? La gestion de l’intermittence est aussi catastrophique et aléatoire que précédemment. Certes, Aurélie Filippetti a nommé des femmes à la tête des institutions. Il était temps. Et après ? Le pacte d’austérité, pardon, de stabilité, a des conséquences immédiates pour la création, les lieux et l’emploi dans la culture. Le désengagement de l’État auprès des collectivités territoriales provoque de gros dégâts. C’est sous la gouvernance socialiste qu’a paru la carte de France des festivals annulés, au printemps dernier. Ces derniers mois, le ministère peut s’enorgueillir de laisser en suspens le sort du Théâtre de l’Aquarium ; de ne pas avoir levé le petit doigt pour soutenir le Forum culturel du Blanc-Mesnil ou l’Idéal de Tourcoing, tout en faisant de grandes déclarations compassionnelles ; de prononcer de grands discours sur la banlieue quant à l’impérieuse nécessité de permettre « l’accès pour tous à la culture » tout en ne se donnant pas les moyens d’une politique culturelle ambitieuse. Rue de Valois, on est champion des nominations/dénominations. On est champion des communiqués en tout genre, de l’aide sélective au projet. Garran, Sobel, Debauche… vous êtes priés de remplir la petite dizaine de formulaires et vos notes d’intention pour justifier de vos « projets » !

Cinquante ans après, on peut douter que cette formidable aventure théâtrale initiée dans la zone tout autour de Paris, là où poussaient les enfants d’Aubervilliers, puisse voir le jour aujourd’hui… Fleur Pellerin ne s’est pas déplacée pour fêter les 50 ans du Théâtre de la Commune. Une absence qui en dit long…

Source : L'Humanité

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