Exposition Jérome Bosch du 13 février au 8 mai 2016 au Het Noordbrabants Museum de Bois-le-Duc (Pays-Bas)

Hypnotique, peuplée d'un bestiaire fantaisiste, l'œuvre du Hollandais a toujours fasciné. Ses tableaux phares, où tentation et luxure se mêlent aux scènes bibliques chères au XVe siècle, sont au cœur d'une exposition exceptionnelle organisée à Bois-le-Duc, sa ville natale, pour le 500ème anniversaire de sa mort.

Paraît-il que le diable est dans les détails. Avec Jérôme Bosch, on peut dire qu'il est servi. Prenez ces monstres noirs et grumeleux, lointains ancêtres des dragons mignons de nos dessins animés, zigzaguant dans un ciel de plomb. Des suppôts de Satan ! Ces saintes aux seins ronds, ces anachorètes ballots exposés aux pires tentations. Un coup du Malin ! Ces cohortes d'arrière-trains qui s'offrent ou font des vents, ces manants qui dégobillent, ces œufs aux pieds fourchus emportant des cadavres. La petite histoire raconte que Jérôme Bosch (1453-1516), Jheronimus Van Aken de son vrai nom, aurait été témoin du gigantesque incendie qui ravagea sa ville natale de Bois-le-Duc (Pays-Bas), alors qu'il était enfant. A l'évidence, son œuvre en a gardé une trace cuisante, puisque le feu de l'enfer y couve à bas bruit, quand il n'éclate pas à l'air libre. Autant prévenir : le paradis n'est pas pour demain dans l'univers en fusion de cet artiste de génie.

Stupéfiante, hallucinatoire, hypnotique, la peinture de l'inclassable Hollandais a toujours fait l'unanimité. On peut passer des heures à se perdre dans ses compositions grouillantes, sans venir à bout des mille et une particules ­réticulaires s'agitant sous le glacis craquelé. A la fin du XVe siècle, les triptyques de Bosch font fureur à la cour de Bruxelles. La réputation de l'artiste est immense, sa postérité, assurée. Cinq siècles plus tard, sa peinture est universellement connue, mais l'homme n'a pas livré ses secrets. Les maigres archives nous disent qu'il payait beaucoup d'impôts, épousa une noble, plus riche et plus âgée que lui, et mourut sans descendance. Tout laisse penser que ­Jérôme Bosch mena une existence de notable respectable - il était membre de la confrérie Notre-Dame, réunissant l'élite ­locale - et travailla en parfaite harmonie avec ses frères et neveux dans l'atelier hérité de leur père. Une vie paisible en somme, tout entière occupée à imaginer comment exprimer en images « aussi déplaisantes qu'horribles », dixit un commentateur hollandais du XVIIe siècle, les pires avanies du genre humain.

Bosch tire à boulets rouges sur les travers de ses semblables, l'avarice, la luxure, la gourmandise…

Comment en est-il arrivé là ? Au Moyen Age, tout atelier qui se respecte dispose de livres pour ses modèles, herbiers ou bestiaires servant à fabriquer des images de dévotion à destination des ecclésiastiques ou des riches particuliers. On y trouve des girafes courtaudes, des plantes exotiques, des tatous rondouillards à combiner aux scènes bibliques choisies par le commanditaire. Cha­que élément a une signification, tel le chardon symbolisant le péché ou la chouette, le diable. Comme ses contemporains, Jérôme Bosch pioche dans cette banque de données médiévale pour composer son bestiaire fantaisiste. On appelle cela des « diableries », genre que le Hollandais n'a pas inventé. Sauf que lui modernise la pratique. « Son coup de génie est d'avoir transposé l'univers de l'enluminure ou de la sculpture à la peinture », explique l'historien de l'art suisse Frédéric Elsig. Avec Bosch, les gargouilles dégringolent des hauteurs, les monstres ­ailés décollent des stalles, les créatures fantastiques sortent de leurs vieux parchemins pour débouler en hordes démoniaques sur les panneaux de bois des retables destinés aux chapelles. Fini les piétés extatiques et sublimes d'un Hans Memling (1435/40-1494). La tentation et le péché font une entrée fracassante dans les sages canons de la peinture ­religieuse. Fort de sa cavalerie pustulante et ballonnée, Bosch tire à boulets rouges sur les travers de ses semblables, l'avarice, la luxure, la gourmandise, et on en passe en cette époque d'hérésie et de mysticisme.

Cela va sans dire, sans de très hauts appuis, l'artiste aurait pu finir à la potence. Mais la cour l'adule, il fait réfléchir, il aiguillonne, il bouscule. Le succès est retentissant. Jérôme Bosch, que l'on surnomme « le faiseur de diables », est bientôt réclamé dans toute l'Europe. Les marchands castillans - le duché du Brabant est alors sous domination espagnole - diffusent son art au-delà des Pyrénées. Moins d'un demi-siècle après sa mort, Philippe II d'Espagne fera entrer dans les collections royales ses plus grands chefs-d'œuvre, dont l'extraordinaire Jardin des délices terrestres, peint vers 1505 pour Henri III, comte de Nassau. Ce triptyque fascinant, peuplé de chardonnerets géants et de couples ensuqués par la félicité, dresse l'état des lieux de l'humanité avant la faute initiale. Il compte aujourd'hui parmi les joyaux du Prado. En se focalisant sur quelques scènes attrapées au vol, on comprend bien que sous le gazon édénique et les fraises humides, la diabolique rhétorique de l'artiste est à l'oeuvre. Tout péché conduit fatalement en enfer, nous serine en résumé le génial contempteur. Occupés à leurs plaisirs, la blonde médiévale et ses doux galants n'ont pas la moindre idée de ce qui les attend.

L'homme moderne, rodé à la psychanalyse, à l'interprétation des rêves et sensible à la beauté du hasard, a aimé voir dans l'œuvre de Bosch, et dans Le Jardin des délices en particulier, tout autre chose. Au XIXe siècle, on la lit comme l'œuvre libératoire d'un fou ou d'un membre d'une secte prônant le retour à la nature, et peut-être même l'amour libre. Au XXe siècle, les surréalistes le portent aux nues. Clé des songes, porte du rêve, écriture automatique, associations d'idées, jeu de l'oie aléatoire : Bosch illustre les mille et une façons de lâcher prise. Dali, scotché par le coup des insectes à demi humains, emprunte au maître une sauterelle qu'il fait héroïne inquiétante de son Grand Masturbateur. « La fascination pour Bosch repose sur un malentendu, explique Frédéric Elsig. On pense, de manière tout à fait anachronique, qu'il était obsédé par l'image onirique et décalée. Mais ça n'est pas du tout ça. » Car l'homme du XVe siècle, dont l'espérance de vie moyenne n'atteint pas 30 ans, a autre chose en tête : le diable. C'est une obsession. Et il sait que le moindre écart de conduite peut l'entraîner, sans espoir de retour, en enfer. Méditer devant le catalogue illustré des ­péchés mortels, tirer des leçons du spectacle affligeant de l'homme bas de plafond, telle est la fonction des œuvres à tiroirs de Jérôme Bosch aux alentours de l'an 1500. Après sa mort, alors que Brueghel et compagnie ont repris le flambeau, la question ne se pose plus en ces termes. L'homme de la Renaissance ne craint plus de rôtir en enfer. Les damnés de Bosch seront les derniers à en avoir autant sué.­

A voir

“Jheronimus Bosch, visions d'un génie”, du 13 février au 8 mai, Het Noordbrabants Museum, Bois-le-Duc.
www.hnbm.nl. Et du 31 mai au 11 septembre, musée du Prado, Madrid. www.museodelprado.es
Catalogue, par Matthijs Ilsink et Jos Koldeweij, coéd. HNBM/Fonds Mercator, 192 p., 24,95 eur.

Source : Télérama

Vues : 429

Commenter

Vous devez être membre de CULTURE-BIS pour ajouter des commentaires !

Rejoindre CULTURE-BIS

Membres

Billets

VOTRE SCÈNE en Normandie.

Publié(e) par Dany Le Du le 29 mai 2023 à 10:13 0 Commentaires

Le Théâtre du Casino à Deauville.
Situé en plein cœur de la station balnéaire, ce théâtre peut accueillir jusqu'à 410…
Continuer

VOTRE SCÈNE en Bretagne.

Publié(e) par Dany Le Du le 28 mai 2023 à 11:19 0 Commentaires

Le Ponant à Pacé.
Cette salle de spectacle est située à l'ouest de Rennes et peut accueillir jusqu'à 450 personnes. Elle présente une programmation…
Continuer

Vendez vos spectacles à l'Office de tourisme de Trouville-sur-mer (Normandie).

Publié(e) par Dany Le Du le 27 mai 2023 à 6:09 0 Commentaires

VOTRE INTERLOCUTRICE est Salma Amer la directrice de la programmation culturelle.
Ses coordonnées mises à jour sont…
Continuer

SUR LES PLANCHES.

Publié(e) par Dany Le Du le 27 mai 2023 à 6:04 0 Commentaires

Le cabotin.
Le terme "cabotin" désigne généralement un acteur qui surjoue ou exagère son jeu sur scène de manière ostentatoire.…
Continuer

'Urgence de Vous, du Gabon à la Russie'

Publié(e) par Shadow le 27 mai 2023 à 0:36 0 Commentaires









Deux artistes venus d’ailleurs : Jann Halexander natif du Gabon, Veronika Bulycheva, native de Russie. Ils se retrouvent sur scène. Les deux sont poètes, musiciens auteurs compositeurs et interprètes, chacun a son parcours original : ils présentent et mélangent leurs univers personnels à travers leurs chansons et des dialogues poignants, où la… Continuer

Bertrand Ferrier 'Le ciel est rouge (ou il devrait)'

Publié(e) par Shadow le 27 mai 2023 à 0:16 0 Commentaires

Bertrand Ferrier revient avec un nouveau tour de chant.
 
"Parce que notre envie de vivre, d'être heureux et d'être libres, soit, mais c'est pas si…
Continuer

Jann Halexander en concert 'Florilèges, 20 ans de chansons' à l'Atelier du Verbe le 11 juin, Paris

Publié(e) par Shadow le 27 mai 2023 à 0:00 0 Commentaires







Le 30 mars dernier, le chanteur franco-gabonais Jann Halexander fêtait vingt ans de…

Continuer

Vendez votre spectacle au Théâtre National de Bretagne à Rennes

Publié(e) par Dany Le Du le 26 mai 2023 à 9:34 0 Commentaires

VOTRE INTERLOCUTEUR est Arthur Nauzyciel
Ses coordonnées mises à jour sont dans notre annuaire…
Continuer

Vendez votre spectacle à la Menuiserie de Pantin. (Île-de France)

Publié(e) par Dany Le Du le 24 mai 2023 à 9:20 0 Commentaires

VOTRE INTERLOCUTRICE est Roxanne Joseph
Ses coordonnées mises à jour sont dans notre annuaire des scènes de…
Continuer

THÉÂTRES DU MONDE.

Publié(e) par Dany Le Du le 24 mai 2023 à 9:16 0 Commentaires

Le Berliner Ensemble - Berlin, Allemagne 
Fondé par Bertolt Brecht en 1949, le Berliner Ensemble est célèbre pour ses…
Continuer

Photos

  • Ajouter des photos
  • Afficher tout

© 2023   Créé par Culture-bis.   Sponsorisé par

Badges  |  Signaler un problème  |  Conditions d'utilisation